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Interview de Monsieur Charles Bernard



Je suis né en 1922 à DRAGUIGNAN où j'ai toujours vécu. J'ai perdu ma mère lorsque j'étais très jeune et je vivais seul avec mon père qui était agriculteur.
J'avais 16 ans en 1938, j'étais ouvreur au cinéma ELDORADO à DRAGUIGNAN. Quand la guerre à éclatée, l'opérateur du cinéma a été mobilisé, le directeur m'a proposé de' le remplacer, ce que j'ai fait jusqu'en 1942 où j'ai été mobilisé à mon tour par les chantiers de jeunesse du Maréchal PETAIN.

Jusqu'alors la zone sud de la ligne de démarcation était libre, mais en1942 , tous ceux de 2O ANS furent mobilisés. Il fallait maintenant vivre avec l'ennemi et travailler pour lui.
Ils nous faisaient couper des arbres ! « les fortes têtes » étaient envoyées dans des carrières pour un travail harassant.
Je me suis retrouvé avec des camarades qui ne connaissaient rien au travail agricole, ils étaient étudiants en droit, en pharmacie, barman… J'ai dû avec 2 de mes camarades ardéchois leur montrer quelques rudiments du métier.
On débitait du bois en 1 m , après il fallait l'envoyer de 5O m en 50 m jusqu'à destination. En redescendant le midi et le soir, nous devions porter une charge de 30 KG de bois pour le chauffage et la gazogène qui remplaçait l'essence, les véhicules avaient été modifiés pour cela.
Je suis resté 8 mois au chantier de jeunesse, entre temps nous avons été contacté par un agent de la résistance, Mr ALTIERI Ludovic, ancien sous-Lieutenant démobilisé, chargé de recruter des jeunes pour un réseau de la résistance : le M N L (mouvement de libération nationale).Il y a eu 48 réseaux qui formèrent par la suite, le M U R (mouvement uni de la résistance).
Cela a commencé par la formation des groupes. Il fallait préparer la libération ! J'ai tout de suite accepté ,Nous éditions des tracts, lancions des mots d'ordre, collions des affiches ect…
En 1943, le gouvernement de vichy a organisé les départs pour le S T O (service de travail obligatoire). Deux de mes camarades du réseau et moi même avons été appelé pour le S T O. Le 25 mars 1943 nous devions nous rendre à BANDOL pour recevoir nos affectations .Nous avons décidé avec notre chef de réseau ALTIERI Ludovic de son nom de code ANDRE Louis de créer un maquis dans le VAR.
Nous avions ordre de nous rendre quartier du Dragon, d'où nous avons pris un car pour MONTFERRAT. Quelqu'un nous attendait pour nous conduire à une maison dans la colline ,nous avons marché longtemps sous une pluie battant, un homme fabriquait du charbon de bois. Nous avons travaillé avec lui, au bout de 2 jours, un agent de liaison vint aux nouvelles, il nous apporta aussi un peu de ravitaillement.
Nous étions 3 jeunes maquisards et le ravitaillement devint très vite impossible, sur ordre de notre chef, nous redescendîmes à DRAGUIGNAN.
Je suis retourné au quartier du Fournas, chez mon père, avec mes 2 camarades .C'est à ce moment là qu'un de mes camarades qui avait peur des représailles, s'est rétracté et est parti pour le S T O en Allemagne.
Peu de temps après nous reçûmes de nouvelles directives pour nous rendre à BARJOLS par le train. Nous sommes allés au grand hôtel, en bas de la grande place de BARJOLS., nous nous sommes inscrits sous nos vrais noms, nous avions très peur car on nous avait avertis qu'un groupe de miliciens et un groupe de S S était dans l'hôtel.
L'après-midi nous sommes partis à la gare de BARJOLS, nous descendons à la correspondance qui desservait plusieurs petits villages. Nous étions à peu près à la hauteur de PONTEVES ,nous sommes rentrés dans le bois presque jusqu'en haut du grand BESSILLON et là nous avons trouvé une bergerie abandonnée, idéale pour installer un maquis. Il y avait de l'eau on pouvait y dormir et se préparer à manger.
Nous sommes repartis à l'hôtel de BARJOLS, avertir l'agent de liaison et payer notre note. Hélas 6 jours après, le ravitaillement ne pouvant se faire, il nous fallut redescendre ! Cela manquait d'organisation... La maison de mon père au FOURNAS était devenue notre point de ralliement, et immanquablement nous y revenions.
Juste après cet épisode, on nous dirigea sur le maquis des MAURES, c'était un autre réseau mais peu importe. Nous avons donc repris le train jusqu'aux ARCS, puis des ARCS à FREJUS et enfin de FREJUS à TOULON.
Quelqu'un nous attendait, nous avons donné le mot de passe : « quelle heure est-t-il ? » ce à quoi on devait nous répondre :  « il est cinq heures ! ».On nous emmène à la MARTELLE, dans les bois, pour discuter de l'organisation du maquis. Ils étaient justement en train de mettre au point l'attaque d'un dépôt d'armes sur la côte.
Aucun d'entre nous n'avait d'armes. Nous leur fîmes part de nos craintes et de notre peur des représailles sur la population. On avait jusqu'au lendemain matin 10 h pour donner notre accord.
Nous avions quelques victuailles pour le soir, nous avons passé la nuit dans le bois. Le lendemain, nous avons refusé de participer à une mission, d'après nous, « beaucoup trop risquée ». Sur ces entrefaites, un autre ordre nous arrive de notre chef . Cette fois, direction les Basses Alpes vers MONTPEZAT. Nous reprenons le car jusqu'à MONTFERRAT et après à pied à travers les collines jusqu'à MONTPEZAT...
Nous devions nous présenter au domaine DEVECCI. C'était la propriété d'un riche industriel italien. Celui-ci avait dû fuir et retourner dans son pays. Le gouvernement de Vichy avait nommé un régisseur : ancien sous-préfet de Manosque. Un fermier s'occupait du domaine, il nous dit de contacter le régisseur si l'on voulait travailler. Le régisseur accepte. Nous nous installions l'après-midi à la ferme et le soir nous dormions dans la grange.
Le lendemain matin, les gendarmes sont venus à la ferme nous demander nos papiers sur ordre du régisseur. Pour eux, nous étions en règle, étant dans un autre département, les gendarmes ne pouvaient pas savoir que nous étions requis pour le STO.
Nous avons travaillé la terre pendant 3 semaines, puis on nous a fait savoir qu'une loi était passée ; tous ceux qui étaient de la classe 42, quel que soit leur département, devaient se présenter pour aller au STO. Nous fûmes encore une fois obligés de partir. Nous retournons à MONTMEYAN et pour redescendre à DRAGUIGNAN, nous passons par AMPUS ou nous contactons la famille TROUIN. Nous restons à l'hôtel d'AMPUS sous nos vrais noms mais en falsifiant notre date de naissance pour ne pas être embêtés. Madame TROUIN nous dit qu'il faut aller sur VERIGNON. Au plan de l'ail, nous demandons à la ferme mais ils n'avaient besoin de personne. Un berger nous dit de contacter Madame LYONS institutrice à COMPS qui cherchait du personnel, son mari ayant été mobilisé, elle-même avait interrompu son activité d'enseignante pour s'occuper de la ferme, elle fut donc ravie de notre demande. On couchait dans le grenier à midi et le soir nous mangions à sa table.
Mon collègue ne connaissait rien aux chevaux. Il était secrétaire d'huissier chez Maître Garri.
Un jour qu'il fallait ramasser les fourrages à la « souche », nous eûmes des problèmes avec la jument qui ne voulait pas se laisser atteler surtout que son poulain la suivait. Mon camarade a dû monter la jument, non sans anicroche. Il arriva chez un autre fermier pour lui demander de venir avec un de ses chevaux, afin de ramener la charrette de fourrage.
Nous avons travaillé encore quelque temps et puis un contact nous dit que cette fois il fallait se sauver car la milice devait nous rendre visite. Nous étions très inquiets, les Allemands étaient bien présents et les occupants italiens étaient là aussi jusqu'en avril-mai 42.
Nous avons fait nos adieux à Mme LYONS en lui disant que nous étions appelés en Allemagne. Nous repartons sur AMPUS, l'hôtelier nous dit que nous étions recherchés, certains avaient parlé, on ne pouvait pas rester là.
Nous retournons vois la famille TROUIN qui accepte de nous cacher. Ils étaient résistants et avaient perdu un fils. Ils nos expliquèrent que notre chef avait été arrêté, l'agent de liaison avait parlé sous la torture et la milice était remontée jusqu'à nous.
Nous décidons de revenir sur Draguignan, chez mois au Quartier du FOURNAS. Nous reprenons contact avec un agent de liaison et obtenons de fausses cartes d'identité. Je m'appelais Charles BOYER et mon camarade Albert GARCIN. Nous gardions la première lettre de notre nom et de notre prénom.
Nous reçûmes bientôt l'ordre de contacter un certain M. DIEDRICH, autrichien évadé pour ne pas avoir à servir l'Allemagne hitlérienne. Il nous envoie à SAINTE-MAXIME voir notre nouveau chef de réseau qui nous dit : vous irez travailler pour l'usine d'engrais de COGOLIN. Par intermittence, nous allions à DRAGUIGNAN pour des fausses cartes d'identité. A l'usine d'engrais, j'ai retrouvé un ami rencontré aux chantiers de Jeunesse, il s'appelait Yves JULIARI. Il était très étonné de me voir là.
De temps en temps, j'allais le voir. Il finit par soupçonner mon activité clandestine t je découvris à mon tour que lui est sa famille faisant aussi partie d'un réseau de résistance. Un jour, son frère a eu besoin de faux papiers. Je suis allé à DRAGUIGNAN. Nous nous sommes fait arrêter sur la route entre la Garde Freinet et VIDAUBAN au carrefour du PLAN de la TOUR. Je n'ai jamais su si c'était la milice ou la police collaboratrice. Tout le monde est descendu, chacun à son tour . Ils ont regardé nos papiers, personne n'a été arrêté. A chaque fois que j'allais à DRAGUIGNAN, je retournais au quartier du FOURNAS. En quelque sorte ce fut le premier QG du maquis varois, enfin un « centre d'attache », car il fallait attendre plusieurs jours pour les fausses cartes d'identité. Quand je ressortais avec mes fausses cartes, le car s'arrêtait juste devant le bureau de la milice, alors je combinais quelque chose pour les dissimuler , collées très serrées sur mon ventre.
Retour à COGOLIN, le lendemain même, le frère de Yves JULIARI part pour les MEES juste en-dessous de SISTERON dans un autre maquis.
Nous, nous faisions partie d la brigade des MAURES et nous intervenions sur la côte, notre chef nous disait : il se peut qu'on vous mobilise pour le STO mais si vous restez là, vous continuerez à nous renseigner. Ce qui arriva.
On nous a envoyés à SAINT-TROPEZ pour débroussailler. Nous dormions dans les dépendances d'une maison réquisitionnée pour moitié par un QG allemand.
Nous avions repéré le service radio, le bureau des officiers. Ces Allemands nous ordonnaient de déraciner des arbres pour les replanter à des endroits où des planeurs ennemis auraient pu atterrir. Ils nous ont aussi envoyés débroussailler autour du phare de CAMARAT dès que nous nous déplacions, nos en profitions pour inspecter de nouveaux secteurs. Un jour, on s'est fait contrôler à l'embranchement de GASSIN. Il y avait 2 batteries de 105 canons courts, des obus et des grenades. Au changement de car à RAMATUELLE, nous avons aussi répertorié des pièces d'artilleries et des munitions. Nous avons mesuré de nos pas la distance de l'équipement à la route, tout cela sans en avoir l'air. Il fallait avoir de la mémoire car nous devions faire notre rapport jusqu'à l'estimation d'après leur volume du nombre de grenades.
Le débarquement s'approchait à grands pas et l'usine d'engrais ne fonctionnait plus. Notre chef de réseau travaillait maintenant comme fermier au domaine de la FOUX. Il nos a fait embaucher pour les vignes, les foins, le labourage.
Quelques jours avant le débarquement, le chef nous dit : « ne vous approchez pas trop du chemin ». Nous avons entendu 2 déflagrations. Les gendarmes sont venus nous questionner. C'était un collaborateur qui s'était fait descendre. Heureusement, nous étions loin. La villa du patron, c'était le poste des Allemands. Le Veldwebel est venu avec plusieurs hommes pour nous interroger.
On a toujours écouté Radio LONDRES. 3 jours avant le débarquement, non n'avait plus de radio. Les Alliés, en visant le blockhaus ont détruit le transformateur électrique. Nous avons eu des informations par GRIMAUD qui était reliée.
La nuit du 15 août 1944 à 2h du matin, dans un vrombissement épouvantable, nous sommes allés nous cacher dans le lit à sec d'une rivière. A 6h du matin , on ne voyait plus rien, à cause des fumigènes. On distinguait les chars d'assaut derrière un rideau de fumée. Je me suis approché : les Américains avaient débarqué.


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