L’institutrice de Mme Martin interdisait aux filles de parler aux garçons. Les unes avaient des maîtresses tandis que les cours des garçonnets étaient dirigés par des maîtres.
Les fillettes portaient des blouses boutonnées de haut en bas et les petits garçons en culottes courtes étaient parés de tabliers quelquefois gris, descendant jusqu'à leurs genoux maigrelets.
L'Etat avait pourtant mis en place un système de distribution de lait, et chaque élève recevait sa ration quotidienne de vitamines et de calcium.
Mme Benet parle de cette période de vaches maigres :
“J'étais à l'école Frédéric Mireur. A la cantine, il n'y avait pas de repas. Il y avait une grande cuisinière. Nous donnions chacune à Mme Cresta la petite gamelle et elle nous faisait chauffer la soupe. Elle était brave comme le bon pain ! Elle essayait que tout le monde soit bien.
En allant à l’école on portait le bois. Il y avait les grands poêles avec une grille autour et on portait sa bûche que nous donnaient nos parents pour que l’on n’ait pas froid.
Pour les chaussures, il y avait les galoches ou alors il y avait le marché noir. On nous faisait une paire de bottines en cuir avec des caboches en fer (des clous) dessous.
Et il y en avait beaucoup, peuchère, pour qui c'étaient des galoches. C'était l'hiver, on leur coupait le bout du soulier parce que le pied avait grandi, il touchait en haut.” |

Livre de lecture
Archive Musée de l'Artillerie
Draguignan
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Tous les lundis matin, les institutrices et les instituteurs avaient copié sur le tableau noir une phrase de Morale, en guise de bienvenue pour débuter la semaine. Il fallait la comprendre et l'expliquer.
La jeune Irène Carovani aimait bien ces leçons :
“A Mireur, j'adorais l'instruction civique où l'on apprenait comment se conduire. La propreté aussi. On écrivait au porte-plume, l'encrier était fixé au bureau. L'enseignant s'investissait à tous les niveaux avec les enfants, Le respect pour le maître ou la maîtresse était de mise”.
Ces enfants de la guerre, étaient-ils meilleurs élèves que de nos jours ?
Une chose est sûre, ils accordaient plus d'importance aux cours de français.
Etaient-ils disciplinés ? Sûrement. Mais on peut penser que de tout temps, quelques marmots remplis de malice, s'arrangeaient pour ordonner des bêtises à d'autres plus turbulents.
Sur les photographies scolaires, l'air solennel, ils ne souriaient pas. Etaient-ils conscients du drame mondial ? Imploraient-ils le retour de leur père ? |
Il n'empêche, à la récréation, ils s'ébattaient
dans l'espace qui leur était réservé avec interdiction
formelle de se cantonner dans le préau, sauf par temps de pluie.
Car gare aux oreilles. En piaillant, ils se rassemblaient, jouaient à la
marelle, à la corde à sauter, faisaient des rondes, se
couraient après, s'amusaient aux billes, aux mentillons.
Il y avait toujours une ou un solitaire, en retrait, restant au bord
de la ligne autorisée, appuyé contre le poteau, qui observait
grave et lointain, ses camarades.
Quand ils avaient terminé d'aider leurs parents, après
l'école, les galopins s'amusaient avec peu de choses. Mme Benet adaptait la Nature à ses envies :
“Nous allions près du parc de la Préfecture, au champ
Achard. Il y avait un ruisseau qui coulait surtout l'hiver. Et quand
on arrivait à ce ruisseau, il y avait une petite glace parce qu'ici
il n'y a pas des hivers à faire -15°C. Il faisait quand même
un peu plus froid que maintenant. Il y avait un peu de neige de temps
en temps pour faire du patin.
Alors, on tombait, on arrivait en retard, la bûche mouillée
et nous les pieds trempés.
Le soir, je mettais les pieds dans le four pour les engelures. Ma grand-mère
faisait bouillir de l’eau de céleri et je trempais les pieds
dedans.”
Et M. Ferrier s'échappait avec des copains :
“On était trois garçons dans le quartier. On allait
manger quatre cerises, on faisait des blagues ensemble. On se rejoignait.
Pendant la guerre, on allait à pied se baigner dans l'Endre à la
Motte. Une heure trente, trois heures de marche aller-retour pour prendre
un bain. Ensuite, on a eu un vélo.Pendant la guerre, on n'avait
pas de pneus. On ne pouvait donc s'en servir. On pouvait s'en procurer
avec de la nourriture. Donnant, donnant, on échangeait.”
Yvette Bonnay rendait service à sa voisine :
“Elle avait un bateau en fer, réplique du Normandie.
Quand je lui faisais des courses, elle me le prêtait. Et je le
faisais naviguer dans le ruisseau qui rejoignait l'égoût.
Parfois, il était arrêté par une tournée de
petits coudes, de carottes. Ou les jeudis, avec mes copines nous baptisions
nos poupées. Chacune apportait des bonbons. Pour avoir une pièce,
je faisais des courses pour tout le monde. Une voisine qui n'avait pas
de monnaie me dit :
– “Tu ne veux pas un canard ?”
Je réponds :
– “Oui, oui” en m'imaginant l’animal.
Elle me rétorque :
– “Je suis désolée pour le canard, mais je
n'ai plus de sucre.”
J'ai compris, longtemps après, que le canard c’était
un sucre imbibé d'alcool !”
Mme Martin apprenait déjà à danser :
“Pendant la guerre, les amis venaient à la maison danser,
car on n'avait pas droit aux bals. A dix ans, je savais danser. Je le
faisais avec ma mère. Nous avions une institutrice, une bigode.
J'apprenais à danser à mes copains. Elle nous interdisait
de les fréquenter, mais moi j'étais entourée de
garçons à la maison et je n’y voyais aucun mal. Les
balances promettaient de ne plus recommencer jusqu'au certificat d'études.
Moi, je promettais de ne pas y retourner jusqu'au prochain dimanche.
Mais il y avait un monsieur qui me faisait danser toutes les danses,
la polka, la java, la valse, la scottish, la mazurka piquée, et
hop ça y allait !”
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